Journaliste spécialisé, mode d’emploi

Les journalistes spécialisés occupent des secteurs de niches de la presse. Ils traitent des sujets que peu d’autres journalistes s’aventureraient à couvrir. Ils acquièrent une expertise dans un domaine que de nombreuses rédactions font très régulièrement appel à leurs services.

Au détour d’une discussion après une récente conférence organisée par l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD) à l’Ecole Royale Militaire, un haut gradé de l’armée belge me confie : « Dans les journalistes qui couvrent les matières de défense et de relations extérieures, il n’y en a pas beaucoup qui savent vraiment de quoi ils parlent. » Cette réflexion est ensuite reprise par la plupart des officiers accoudés au zinc autour de nous.

Les sujets les plus complexes nécessitent bien souvent l’apprentissage de connaissances techniques. Acquérir pareil bagage implique parfois de se former sur le terrain pendant quelques temps. Les journalistes spécialisés qui ont suivi un tel parcours sont parfois mieux considérés par les experts du domaine qu’ils traitent. Il n’est pas rare d’entendre un expert militaire se poser des questions sur la fiabilité de certains papiers. Beaucoup d’entre eux vont donc jusqu’à proposer leurs services de relecture au journaliste après que ce dernier ait bouclé son sujet. Toute volonté de censure mise de côté, bien évidemment.

Le nom de Bruxelles2 est très régulièrement cité comme une référence dans les milieux politiques, militaires et diplomatiques européens francophones. Bruxelles2 est un premier né, unique en son genre, dans le paysage médiatique européen.  Il s’agit d’un blog professionnel, tenu par le journaliste Nicolas Gros-Verheyde, consacré à la politique étrangère de l’UE et à l’Europe de la Défense. Que ce soit dans une discussion informelle avec des hauts fonctionnaires du Parlement européen à Strasbourg, dans le monde académique ou en reportage dans un bataillon,  le nom de Nicolas Gros-Vereheyde est connu de tous.

Le blog pour renouer avec le journalisme d’antan

La plupart des journalistes spécialisés tiennent à jour un blog. L’auteur de Bruxelles2 justifie l’existence de son blog qui l’« oblige à renouer avec la pratique du journalisme des débuts avec les avantages de l’électronique. » Par le biais de son blog, il se met un point d’honneur à aller sur le terrain, fouiller les coulisses des sphères de décision et non pas à uniquement se contenter des communiqués de presse.

Depuis 2009, une autre initiative est en train de se bâtir une place dans la « blogosphère ». Romain Mielcarek, un jeune journaliste français, a lancé lui aussi un blog sous le nom  ActuDéfense. « Un blog est un véritable outil d’expérimentation technique et intellectuel. Il a été pour moi l’occasion de perfectionner mes connaissances », peut-on lire dans la rubrique de présentation du blog du journaliste. Depuis septembre 2012, Actu Défense a ouvert ses lignes à des contributions extérieures. Académiciens, stagiaires des grandes écoles et apprentis journalistes sont invités à venir développer leurs idées sur le blog. « ActuDéfense doit aussi continuer d’être un lieu d’expérimentation et de découverte de soi », peut-on y lire.

Qui dit journalisme spécialisé, dit aussi parfois s’adresser à un public d’experts. Force est de le constater, les articles qui parlent de la présence militaire européenne ATALANTA au large de la Somalie ou encore de la mission EULEX au Kosovo ne font pas partie de ceux qui connaissent les meilleurs scores d’audience parmi le grand public. Malgré tout, cette faiblesse dans la presse généraliste représente un avantage pour un tout autre modèle économique. Tous les professionnels doivent se tenir à jour des évolutions de leur secteur d’activité, évolutions qui permettent une meilleure rentabilité pour le journaliste spécialisé.

En parallèle de son blog Bruxelles2, Nicolas Gros-Vereheyde a récemment lancé Le Club de B2, une offre payante qui donne accès à des documents originaux, sources de l’information et qui viennent compléter les contenus en accès gratuit. A nouveau, ceux qui lisent ce type d’informations sont souvent issus de corporations du secteur de la défense.

Les institutions internationales, les ONG, les lobbies industriels et les multinationales sont tous demandeurs d’une information de qualité à propos de leurs activités professionnelles. Certains médias tiennent aujourd’hui le filon et ne communiquent plus que pour ce public. Des lettres confidentielles comme Intelligence Online ou AEF Sécurité Globale proposent des contenus ciblés et très rigoureux aux organismes qui acceptent de débourser quelques milliers d’euros par an pour un abonnement.

Statut d’indépendant?

Malgré tout, les jeunes journalistes qui s’orientent vers la presse spécialisée doivent d’abord surmonter un parcours du combattant pendant les premières années de leur carrière. La majorité d’entre eux travaillent comme journalistes indépendants. D’autres ont un emploi alimentaire et développent leurs investigations en parallèle sous le statut d’indépendant complémentaire.

En Belgique, il existe le Fonds pour le journalisme. Il a déjà permis à plusieurs journalistes belges de réaliser des investigations de qualité et de récolter des informations exclusives. Le journaliste Damien Spleeters fait partie des journalistes qui ont pu bénéficier d’une bourse. Il s’est spécialisé dans les conflits armés et la prolifération des armes de guerre belges. Grâce au Fonds pour le journalisme, il a ainsi pu partir en Libye. Malheureusement, « on ne peut y faire qu’une seule demande par an », déclare-t-il. Le journaliste David Leloup, spécialiste des affaires financières, a déjà eu l’occasion de dégager quelques « scoops » de malversations à la suite d’investigations financées par le Fonds pour le journalisme. La bourse obtenue « permet de sortir un petit peu la tête hors de l’eau, mais il faut bien calculer son coups en termes d’heures de travail estimées », confie-t-il. Ce qui n’est cependant pas toujours évident à appliquer aux longues investigations.

A côté du Fonds pour le journalisme, il existe d’autres sources de financement comme le Fonds Pascal Decroos auprès duquel plusieurs demandes annuelles peuvent être faites. « La première fois que j’y ai fait une demande j’ai reçu 3500 euros et la seconde fois 4500 euros », confie Damien Spleeters.

Mais ce n’est pas tout, Damien Spleeters occupe un emploi non journalistique à mi-temps. « C’est intéressant d’avoir un revenu fixe quand on a une famille », explique-t-il. Il est également toujours utile de le savoir : les journalistes qui travaillent sous le statut d’indépendant complémentaire sont exemptés des charges sociales. Un point positif qui reste très peu connu des futurs journalistes, mais qui devrait en intéresser plus d’un. David Leloup occupe lui aussi un emploi à mi-temps. Il est salarié à Corporate Europe Observatory, ce qui lui donne l’occasion de mettre à profit ses compétences journalistiques au service d’enquêtes sur le lobbying industriel au niveau européen.

Outre l’absence de l’obligation de s’inscrire à une caisse d’indépendants, le journaliste indépendant complémentaire peut se permettre de produire moins qu’un journaliste généraliste. Le journaliste spécialisé ne travaille que quand il déniche une information spéciale liée à son domaine d’expertise. Cependant, il faut aussi voir le revers de la médaille. Le temps à consacrer à la réalisation des enquêtes se trouve réduit lorsque le journaliste a un emploi à mi-temps. Damien Spleeters l’explique : « Je dois prendre des vacances chaque fois que je veux partir à l’étranger ou trouver du temps en-dehors de mes horaires pour interviewer quelqu’un. »

Aujourd’hui, une part importante des étudiants en journalisme se retrouve démotivée par les conditions dans lesquelles ils devraient exercer leur futur métier. Beaucoup décident d’ailleurs de s’orienter alors vers d’autres métiers à la fin de leur maîtrise. Très peu pourtant envisagent une carrière dans la presse spécialisée. Y développer son créneau n’est certainement pas de tout repos pour le jeune journaliste qui débute, mais il y trouvera de nombreuses flexibilités et pourra couvrir des matières qui le passionnent.